Interview

Interview d’Iléana, professeur et metteur en scène

Bonjour Iléana, depuis combien de temps enseignez-vous le théâtre ? Comment avez-vous choisi cette voie ?

Cela a été un concours de circonstances… Suite à un accident, je ne pouvais plus parler normalement… un peu gênant pour une comédienne ! Et un jour, une maîtresse de mon fils m’a interpelée lors d’une réunion parents profs. Elle trouvait qu’il interprétait de façon touchante et/ou drôle ses poésies… Poésies que je lui faisais en effet travailler comme un petit comédien… Lorsqu’il me récitait ses poésies, je lui disais que je n’avais rien compris… il me regardait d’une façon étrange… Je lui ai vite expliqué et fait ressentir qu’un texte c’était comme un tableau : il faut lui donner des couleurs, le faire respirer,  lui prêter ses émotions, en dégager sa douceur et sa puissance, en faire son ami, un allié de jeu.

Cette maîtresse m’a fait avouer que j’étais comédienne et a sauté sur l’occasion : « justement, j’aimerais leur faire faire du théâtre l’année prochaine ! Vous ne voudriez pas venir une fois par semaine les initier ? » Vu mon état, je ne me voyais pas me présenter ainsi à toute la classe. Je pensais aussi à mon fils vis-à-vis de ses copains. Ainsi, j’ai proposé à sa maîtresse de faire une adaptation de l’Avare de Molière en lui donnant ma mise en scène, puis, petit à petit, me prenant au jeu et mon fils n’y voyant pas d’objection j’ai fini par me rendre régulièrement à l’école et j’ai monté l’Avare avec 22 petits élèves et leur maîtresse ! Tout le monde y mettait de plus en plus de cœur ! Et leur maîtresse leur a fait des costumes extras en allant récupérer des rideaux et des couvres lits chez sa grand-mère !!

Le spectacle fut un succès……des coulisses j’entendais les parents applaudir… et les enfants qui m’y rejoignaient étaient si si heureux ! Le directeur est venu me chercher : plusieurs parents me demandèrent où ils pouvaient inscrire leur enfant pour l’année suivante ! J’avais donc l’été pour monter mon cours ! Et à la rentrée, alors que la difficulté de trouver une salle allait faire échouer le projet, le directeur m’a proposée d’occuper une des classes en repoussant les tables et les chaises ! C’était parti ! Tout fut un peu improvisé, mais quel bonheur ! Je restais donc dans la veine du théâtre !!! Et j’y associais les enfants ! Ma seconde passion !

Depuis, j’ai trouvé une salle… qui est devenue « la salle », le lieu de RV pour se voir, se parler, se donner quelque chose, se faire un ptit dej. Nous sommes un groupe. J’ai réussi à monter une troupe, des troupes car à présent, les moyens sont devenus grands, les petits sont devenus moyens et d’autres petits sont arrivés ! Je ne me sens pas prof mais référant.

Ils restent des élèves !

C’est une remarque pertinente. Si ce sont au début des élèves… ils deviennent vite dans mon esprit des apprentis comédiens professionnels. Je les forme dans ce sens-là. Je suis exigeante. Je leur demande des choses a priori difficiles, mais avec la confiance qu’ils me font, le travail que je leur demande et que nous fournissons, c’est possible !! Ils y arrivent. Je pouvais donc les y conduire. Mais attention, je m’adapte au niveau de chacun, je fais à la carte et non au menu ! Je fais en sorte que tout le monde progresse, tout en veillant à ce que les distributions soient équitables, et que personne ne se sente lésé. Je travaille beaucoup à l’instinct, à l’impulsion, à la passion. Mais nous en discutons. Nous ne sommes pas au collège (ou école ou lycée selon les âges). Ils sont là parce qu’ils le veulent, par plaisir et désir. Nous sommes là pour partager nos émotions, notre savoir, nos idées… parce que, oui, je suis ouverte à ce qu’ils expriment leurs idées, tant pour les costumes que pour la mise en scène que pour leurs désirs de texte. Après, j’avise ! Ainsi, il y a plein d’avis, de vie qui s’imbriquent, qui complètent le tableau

Et donc, comment travaillez-vous avec eux ?

Ancienne élève du cours Simon, du cours Blanche Salant et adepte du Studio Pygmalion, j’ai une base : la méthode Stavinslasky, mais à laquelle j’apporte beaucoup de psychologie et d’affection

J’ai ma méthode pédagogique très personnelle : active et originale : placer l’élève-comédien en situation de scène réelle et même jeune, je réussis à leur faire interpréter, et jouer des personnages adultes.

L’idée est d’amener mes comédiens à vivre une réelle expérience théâtrale, de les faire jouer, que leur motivation soit aussi forte que leur curiosité et que leur enthousiasme soit aussi fort que leur besoin de s’amuser. A travers ce plaisir, ils apprendront les techniques du théâtre, les secrets de la scène, et les subtilités du jeu (Voir sur le site le déroulement des cours de l’année)

Apprendre en jouant, se faire confiance, former une troupe et c’est parti pour une année de rire !!!

J’insiste sur le « former une troupe ». C’est important pour l’ambiance, pour le travail de l’année, pour avoir envie de se retrouver à chaque répétition !!!

C’est un beau but et il a l’air important pour vous. Et donc, comment y parvenez-vous ?

Je travaille à la confiance établie, au désir nourri.

Et au début, par la découverte de chacun : d’eux-mêmes, des autres, de nous. Je les apprivoise avant tout. Nous nous apprivoisons mutuellement.

Chacun va se découvrir et ils vont découvrir des choses sur eux même, ou se révéler à eux même. Je fais en sorte de mettre en avant leurs qualités, leurs points forts et je ne cache sûrement pas leurs points faibles. Au contraire, je montre que ces derniers existent et qu’ils peuvent être des points forts, des atouts ! Nous sommes ce que nous voulons bien faire de nous, ce que nous voulons bien montrer.

Je pense que le théâtre est un moyen d’apprivoiser son image, de prendre conscience de l’effet positif que l’on dégage, de donner une valeur positive au physique que l’on a. Le théâtre permet de mieux communiquer avec les autres mais aussi avec soi-même. Le théâtre permet de découvrir que nous sommes un instrument grâce auquel nous pouvons nous amuser. Ainsi, il permet d’oser, de ressentir et de lâcher ses émotions !

Ma méthode est aussi ma nature : je marche à l’affectif et avec ma sensibilité. En effet, je suis très affectueuse et je pense que mon affection est à la hauteur de mon exigence ou réciproquement.

J’ai quelques maîtres mots : affection, exigence, plaisir, authenticité, évidence, être vrai, humilité.

Beaucoup de psychologie et d’affection. On le ressent en effet. Petite connotation thérapeutique ?! Vous avez l’air, en tous les cas, d’avoir un rapport privilégié avec eux.

Vous riez mais oui… En fait, ils ne s’imaginent pas qu’ils se déshabillent moralement devant moi. Ils se mettent à nu ! (ouh la la… s’ils m’entendaient !!!!) Non, je rigole car en fait, je finis par leur dire quand ils se demandent comment j’ai pu deviner ça et ça et ça en eux, que par mon écoute attentive à travers les exercices non innocents d’improvisation que je leur donne, je peux les comprendre, les cerner. Enfin… j’essaie au mieux……

Et puis le temps faisant, certains se confient beaucoup… mais je n’en dirai pas plus 😉

Et dans leur travail, quand ils ne vont pas assez loin, qu’ils n’osent pas, quand ils ne s’ouvrent pas assez, quand ils ne se libèrent pas assez, je leur dis: « Allez, mets-toi à poil, on est entre nous, il ne fait pas froid » ou bien « jette toi à l’eau, elle est bonne, viens donc t’amuser avec nous, ne reste pas sur la mauvaise rive, viens sur la rive ensoleillée, gaie… on s’éclate ! »  

Je bouscule, je booste, mais attention, toujours avec affection.

Je ne les lâche pas pour ces émotions bloquées. J’y vais progressivement bien sûr. Pourquoi un blocage ? Pourquoi on n’ose pas ? Peur ? De quoi ? D’avoir l’air ridicule ? Il n’y a pas de ridicule au théâtre dès que l’on ose justement ! Le seul ridicule est d’avoir peur d’être ridicule. Je fais dépasser ça par le plaisir que je leur fais toucher, ressentir et qu’ils voudront retrouver par conséquent.

Ou pudisme d’une émotion qui nous fait mal ? C’est le moment de la sortir pour l’apprivoiser et hummmmm que c’est bon de pouvoir en jouer !!!!!

Alors chacun à leur rythme mais je ne les lâche pas.

Attention, tous n’ont pas besoin d’un parcours pareil. Je ne suis pas psychologue ! Nous sommes là pour prendre du plaisir, rire, jouer, animer des personnages qui nous prêtent leur histoire. D’ailleurs, une importante parenthèse : l’approche des enfants et ados n’est pas la même que celle que j’ai avec les adultes qui veulent monter une pièce en entier. Cela n’empêche en rien la direction d’acteur.

 Et là d’ailleurs, après les impros… commence le théâtre, le jeu des mots, les sentiments des personnages que nous colorons, QUE NOUS ANIMONS, que nous mettons en scène. C’est top, quel plaisir ce travail en amont en sachant que ce sera pour offrir une histoire au public !

Nous ne sommes que les interprètes des auteurs mais en rendant réels leurs personnages, leurs émotions, leur histoire. Le temps du jeu, nous sommes ces personnages, nous leur prêtons notre énergie, ils nous prêtent leur histoire que nous devons avant tout comprendre, ressentir, ce qui les motive à agir et réagir comme ci et comme ça. C’est ça se mettre dans la peau du personnage. Comprendre ses sentiments afin de les retranscrire. Ce n’est pas l’élève-comédien que je veux voir sur scène, c’est le personnage à qui il donne son énergie. Faire exister le personnage au-delà du texte.

Quel serait le plus de votre cours ?

Me dit-on : la particularité et l’originalité des spectacles de fin d’année. D’ailleurs une personne cette année m’a dit « j’ai vu le groupe des moyens, je vais venir voir les grands » Il y a aussi les fidèles de chaque année qui attendent nos spectacles… de qualité me dit-on… Une autre personne m’a dit : « cela donne envie d’aller au théâtre »

Mais c’est très gênant de dire tout cela……

Sinon, d’autres particularités ? Pas de limite d’horaire tant pour le travail des textes lui-même, que pour des confidences qu’un élève aurait à me faire, que pour des sorties diverses !  Mais ça, ces sorties, c’est un autre chapitre encore.

Ah ! et bien parlez-en, ce sont des petits plus justement !

Et bien au début de l’année, lorsqu’il fait encore beau, j’organise les deux premiers cours dans un jardin. Cela apporte une autre approche de chacun vis-à-vis de chacun, des nouveaux parmi les anciens, cela apporte un sentiment moins conventionnel et le sentiment chaleureux et convivial que je désire obtenir comme vecteur du groupe.

Les anniversaires sont fêtés. C’est l’occasion d’un gâteau de temps en temps bien que …… l’ambiance faisant, nous avons des comédiens qui se révèlent très bons cuisiniers et qui nous font goûter leurs mets très régulièrement !

Alors dans tout cela, il faut faire attention au temps qui passe…

Par ailleurs, si des élèves souhaitent approfondir une scène ou souhaitent avoir une scène en plus, je ne découragerai évidemment pas cela et nous trouverons ensemble des créneaux en plus !

Au cours de l’année, je leur propose des sorties théâtre auxquelles les amis et / ou les parents peuvent se joindre, une crêperie ou pizza ou pique-nique. Et cette année il y a même eu un w-e de trois jours organisé.

Avez-vous des exigences particulières ?

Comme je l’ai exprimé précédemment, mon exigence est à la hauteur de mon affection et réciproquement.

– Ils doivent évidemment respecter les horaires de répétition, et ce d’autant plus qu’ils sont privilégiés car dans la tranche horaire de leur cours, je leur donne leur horaire de passage sur scène. Toujours à la carte quoi !

– Ils doivent apprendre leur texte dès que je leur donne le feu vert, dès que je leur demande. Après, ils ont quand même quelques semaines pour l’apprendre en entier mais ne pas trop tarder car le travail sur scène sera moins efficace et moins concentré et moins rapide.

– Ils doivent écouter le travail des autres. Une écoute tout aussi importante, instructive et constructive que lorsqu’ils sont sur scène

– Ils doivent s’investir dans la quête des accessoires que l’on n’aurait pas à la salle

– Ils doivent se montrer disponibles pour un w-e entier en fin d’année afin de faire le w-e filage dans de bonnes conditions

Mais cette exigence, ils la comprennent très vite normalement. Maintenant, chacun a sa façon de l’appliquer, parfois de la détourner même, mais en sachant que ce petit jeu filou ne peut durer trop longtemps 😉

En tous les cas, ils adhèrent et ils restent et reviennent !

Mais si je devais donner un verbe c’est vouloir !

Si vous deviez définir votre « style », vous diriez quoi ?

Entière, vraie, affectueuse, spontanée, forte et toute aussi sensible, rigoureuse et exigeante, bavarde et farceuse ! Et oui ! Si on n’a pas un grain de folie dans la vie… qu’est-ce qu’on s’ennuie !

Je sais exactement ce que je veux, mais je ne sais pas forcément quel chemin je vais prendre. Mais j’y vais et je m’adapte, j’écoute, je fais évoluer les choses et je consolide tout au fur et à mesure… comme un artiste peintre et son tableau. Il rajoute des couleurs, il fait des mélanges, il écoute les sons de la nature, il écoute son cœur, ses sentiments, ceux des autres…

Que viennent chercher les élèves en venant à votre cours à votre avis ?

Tous différents, ils viennent chacun chercher quelque chose de différent. Je m’adapte à tous, aux facilités et aux difficultés de chacun. Mon but est que chacun s’épanouisse et que chacun soit mis en valeur

Pour moi, l’essentiel est qu’ils repartent heureux… et qu’ils reviennent !

Certains viennent juste pour le désir de jouer, et /ou parce qu’ils ont entendu parler du cours, d’autres pour régler un problème, d’autres encore parce qu’ils ont vu un des spectacles. Ils ressentent fortement à ce moment-là, l’esprit de troupe et l’immense plaisir que les comédiens ont eu sur scène.

Acceptent-ils facilement vos remarques ?

Il est vrai que je dis ce que je pense. Je suis trop entière pour agir autrement et je peux paraître dure par conséquent. Mais seulement paraître car au fond je ne le suis pas du tout. Je désire seulement les faire réagir pour qu’ils avancent. Alors comme je l’ai déjà dit, je les bouscule, je les titille, je les booste. Ils le savent car ils sentent que je ne désire que leur bien. Ils comprennent car je leur explique que « je te pousse car je sais que tu peux aller là où je veux t’emmener, là où tu as même envie d’aller sans le savoir ». Si j’agis comme ça comme un feu avec tant de fougue et d’énergie c’est par affection. Et ils le disent !

Je veux qu’ils aillent chercher en eux ce qu’ils ne soupçonnent pas avoir… et pourtant il y a tant !

Vous ne travaillez qu’à partir d’impros pour cela ?

Non non non ! Pas du tout. Les impros servent à ce que je vous ai expliqué au début, puis elles me permettent de leur proposer des textes. Des textes de plaisir qui vont être plus faciles à travailler et des textes dits de travail qui vont les pousser à travailler sur leurs points faibles. Et au fur et à mesure, nous voyons si nous les gardons pour les représentations de fin d’année. En général, ces scènes sont conservées car ils finissent par adopter leur personnage et à prendre du plaisir avec !

Vous parlez de textes… vous ne montez pas une pièce ?

Absolument pas. Pas avec les ados. Cela leur permet d’explorer différents univers, de passer d’une époque à une autre, cela leur permet de s’essayer à plusieurs personnages, de changer de registres, de changer de partenaires, de découvrir toutes les palettes de couleurs qu’ils ont en eux

Et pour vos spectacles alors ? Pas de pièce ?

Et non ! Je pourrais vous expliquer comment cela se passe et ce que nous présentons mais il n’y aurait plus du tout de surprise… Venez voir !

Nous n’y manquerons pas. D’ailleurs nous avons noté les dates ! Et enfin, si vous aviez des paroles sages à leur communiquer ?

Les silences parlent. Le corps parle autant que les mots Chercher en soi l’authenticité, la sincérité, la générosité pour être vrai, tant dans la vie que sur scène

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